La naissance de la psychanalyse (17)

Du même coup, le désir va donc renaître inévitablement toujours identique à lui-même parce qu’il est toujours sous-tendu par le manque laissé par la chose.

De ce point de vue-là, on peut dire que ce manque, ce vide laissé par la chose c’est ce qui va se constituer aussi bien comme ce qui cause le désir que comme ce que vise le désir.

C’est le manque en tant que tel qui pousse l’enfant à toujours désirer ce qu’il n’aura jamais (la chose).

 

Ce statut du désir qui est donc causé par le manque, introduit immédiatement une conséquence dans le fonctionnement du désir et dans le fonctionnement psychique, c’est que ce vide va définir un lieu psychique apte à être occupé par n’importe quel objet. Lesquels objets, s’ils occupent ce lieu, vont donc venir comme des objets substitutifs de l’objet originairement manquant.

 

Il n’y a donc pas à proprement parler d’objet du désir puisque le seul objet du désir, c’est le manque. Et que la seule manière de désigner l’objet du désir c’est de le désigner comme Lacan le fait, comme l’objet éternellement manquant : l’objet petit a. A la fois objet du désir et cause du désir.

 

L’objet petit a c’est le témoignage d’une perte, mais c’est tout aussi bien un objet dont on pourra dire qu’il est producteur de manque.

L’enfant va se trouver désormais pris dans une relation au grand Autre, relation d’assujettissement.

Ce que l’enfant découvre, pressent très tôt, c’est que le désir de la mère est logé à la même enseigne que le sien. Autrement dit, il y a du manque aussi du côté du grand Autre.

Dans sa quête interminable pour essayer d’atteindre, d’obtenir cet objet petit a, l’enfant va essayer de se faire lui-même l’objet qui pourrait combler le manque de l’autre. C’est le seul moyen de rester dans la jouissance avec l’Autre. Puisque l’autre est manquant de quelque chose, autant que l’enfant se présente lui-même comme un objet possible qui pourrait combler ce manque de l’autre.  Tout se passe comme si l’enfant se constituait comme l’objet du désir de l’autre. Il essaye d’occuper cette place vide chez l’autre. Place où il serait le seul et unique objet du désir de l’autre. Il essaye de combler la mère.

Ça veut dire que, si l’enfant pense qu’il peut être l’objet qui comble le manque de l’autre, il peut récuser, contester l’existence du manque dans l’autre. Il se donne la possibilité de ne plus être dans le manque.

C’est en ce sens et en ce sens seulement qu’on peut dire qu’il est identifié à l’objet phallique. L’objet phallique étant le seul objet du désir convoité par tous.

Cette croyance, l’enfant va la partager jusqu’à l’Œdipe.  L’enfant est donc installé dans cette identification phallique et il y restera jusqu’à ce qu’un certain nombre d’événements le contraignent bon gré, mal gré à y renoncer.

Dès lors que l’enfant accepte l’existence du manque dans l’autre, dès lors qu’il accepte qu’il ne pourra jamais combler ce manque-là, ça veut dire qu’il accepte aussi, pour lui-même, que son désir soit aussi un désir marqué par le manque. Cette « reconnaissance », cette acceptation du manque dans l’autre, c’est tout ce qui se déroule autour de l’enjeu phallique dans le complexe d’Œdipe.

 

C’est en référence à ces trois dimensions : l’existence d’un objet du désir qui est à la fois cause du désir et objet du désir ; l’existence du manque dans l’autre et l’identification primordiale de l’enfant au phallus ; que Lacan reformule le problème du complexe d’Œdipe.

 

La métaphore du nom du père

 

C’est le temps fort du complexe d’Œdipe, ce que Freud appelait la résolution du complexe d’Œdipe. C’est-à-dire le moment où l’enfant est amené à accepter le manque.

Cette question de la métaphore paternelle, c’est l’épine dorsale de tout le complexe d’Œdipe.

 

Ce que s’efforce de faire Lacan, à propos du complexe d’Œdipe, c’est d’essayer de recentrer ce problème de l’Œdipe dans le seul registre où il est intelligible :

 

  • Le registre de la capture imaginaire ;

 

  • D’autre part, un point d’ancrage de cette capture imaginaire, à savoir ce moment, extrêmement important pour l’enfant, où toute la dimension psychique imaginaire dans laquelle il se bat à propos de l’Œdipe, va s’ancrer à une autre dimension : le symbolique.

Donc : le symbolique, l’imaginaire, le réel.

C’est en ce sens que le complexe d’Œdipe est un processus structurant pour l’enfant (cette articulation du symbolique avec le réel).

Hors de ces deux références, le complexe d’Œdipe tombe dans l’idéologie.

Cet espace à la fois symbolique et imaginaire, c’est l’espace dans lequel va se déployer, se jouer, ce que Lacan appelle la dialectique phallique. Autrement dit, l’intelligibilité de l’Œdipe, c’est du côté du phallus et c’est tout.

 

Dès qu’on introduit la dialectique phallique, on introduit en même temps toute la question de la castration.

 

C’est le stade du miroir qui va mettre un terme définitif à ce fantasme du corps morcelé et qui va permettre à l’enfant d’accéder à un vécu psychique de son corps, une représentation psychique de son corps de l’ordre d’une totalité unifiée.

Lacan fait référence à deux expériences psychiques qui témoignent tout à fait en faveur de l’existence de ce fantasme du corps morcelé chez l’enfant. Ces deux expériences psychiques, c’est d’abord le vécu psychotique et d’autre part, certains rêves.

 

En ce qui concerne les rêves, ces rêves assez particuliers que font presque tous les patients, dans le cadre de la cure, à un certain moment de la cure : par exemple lorsque l’analyse a conduit les patients à un niveau de régression assez important, ces patients, dans ces moments de régression, font des rêves où ils mettent en scène des scénarios assez tragiques ; à savoir ces rêves où des corps sont disjoints, des membres sont arrachés, et tout se passe comme si se remettait à fonctionner, simplement au niveau du rêve, la restitution de représentations psychiques oubliées, qui sont celles du fantasme du corps morcelé.

 

A un moment ultérieur de l’analyse, quand, à partir de ces régressions importantes, le fonctionnement psychique recommence à se mettre en route de manière plus économique, plus plaisante ; on voit apparaître à nouveau des rêves très stéréotypés qui sont des rêves de forteresse, d’enceinte fortifiée de choses qui symbolisent l’unité plutôt que la dispersion.

 

 

 

L’expérience psychotique

 

C’est un fait établi que, dans certaines psychoses (schizophrénies, états schizophréniques, ou hébéphréniques), le processus de destruction psychique s’accompagne toujours d’une destruction de l’image du corps. Par exemple, on voit très bien comment les enfants psychotiques sont pris d’une panique absolue devant leur propre image dans les miroirs (pas tous). C’est quelque chose qui les angoisse parce que ce qu’ils perçoivent, c’est un corps complètement dispersé. On sait très bien que les schizophrènes peuvent avoir une telle détérioration de l’image du corps qu’ils peuvent s’auto mutiler sans « problème ».

Ce qui est tout à fait caractéristique de la psychose, c’est l’incapacité où la plupart des schizophrènes se trouvent d’avoir réussi cette identification primordiale. C’est-à-dire, ils n’ont pas traversé les principales étapes du stade du miroir.