La naissance de la psychanalyse (21)

La privation dans l’Œdipe

L’enfant est privé, par cette présence du père, de son identification phallique.

Ce qui est très singulier, c’est que cet enfant qui se sent lui-même privé de quelque chose, pense aussi que ce père est un intrus aussi bien auprès de lui que de la mère puisqu’il prive aussi la mère, du même coup, de trouver, en son enfant, l’objet qui pourrait la combler.

 

Donc, pour l’enfant, l’intrusion paternelle est une double privation. Une privation immédiate, mais également une privation qu’il impute comme privant la mère de quelque chose.

 

Ce qui est tout à fait important dans ce processus, pour autant qu’il soit imaginaire, c’est que ce père dont l’intervention est vécue sur ce mode-là, ce père apparait brusquement à l’enfant en tant que petit autre. C’est-à-dire quelqu’un d’extérieur, quelqu’un d’étranger, quelqu’un de tiers à la relation fusionnelle.

 

Et parce que justement ce père apparait à l’enfant comme autre, étranger et à la mère et à l’enfant, extérieur à eux deux, ce père apparait aussi brusquement comme un objet potentiel ou hypothétique du désir de la mère.

 

Il y a là encore dans la réalité de la vie de l’enfant une série d’indices, une série de faits dont il est témoin, qui le poussent à faire cette hypothèse.

Autrement dit, lorsque ce père intervient comme un intrus, comme un autre, à la relation idyllique entre la mère et l’enfant, il apparait nécessairement à l’enfant comme un objet phallique rival de lui-même.

Ce qui veut donc dire que l’enfant a tout à fait raison de se questionner sur le mode être ou ne pas être le phallus parce qu’il se peut qu’il ne soit pas le seul et unique phallus. C’est-à-dire le seul et unique objet du désir de l’autre. Il se peut tout à fait que ce père puisse être un objet phallique rival de l’enfant auprès de la mère.

 

Et c’est tout à fait dans ce registre que l’enfant vit la présence du père, c’est-à-dire comme un rival. Et c’est ça qu’on retrouve chez l’obsessionnel qui reste un peu coincé du côté de cette rivalité phallique auprès de la mère.

 

Donc, dans ce second temps de l’Œdipe, on ne peut pas dire qu’il y a un argument ou un indice qui serait suffisamment favorable pour que l’enfant reçoive une réponse définitive à sa question, à savoir être ou ne pas être le phallus ?

 

Par contre, ce qu’il rencontre cet enfant, dans ce second temps de l’Œdipe, c’est aucun élément qui lui permettrait de favoriser sa certitude qu’il est bien. Il ne peut que supposer que ce père, cet intrus est un objet phallique rival. Il ne fait que le supposer. Et bien sûr, toute son attention va se porter sur tout ce qui pourra servir à étayer cette supposition.

 

Et de ce point de vue-là, en principe, il ne manque rien et l’enfant brusquement, découvre un des principaux malheurs de sa vie, sinon le seul, que justement le père est bien un objet phallique rival. C’est en tout cas comme ça qu’il le reçoit assez rapidement. Le père apparait à l’enfant imaginairement comme interdicteur et privateur.

Avec cette interrogation, s’amorce une étape nouvelle dans le complexe d’Œdipe. C’est l’étape où l’enfant est confronté à la loi, la loi en tant qu’elle exprime l’interdit de l’inceste.

Ce qui veut donc dire que si cette présence du père a pour effet de confronter l’enfant à la loi, cette loi n’est donc pour lui que la loi du père.

C’est un moment décisif dans la mesure où, c’est à la faveur de cette rencontre de la loi, qui se trouve présentifiée à travers ce père intrus, parce que l’enfant va découvrir la dimension la plus essentielle du désir. On peut même dire la dimension la plus essentielle qui structure le désir, le fonctionnement du désir.

Cette dimension c’est que : le désir de chacun est toujours soumis à la loi du désir de l’autre.

Le désir de l’un est toujours dépendant du désir de l’autre. Le rêve ou l’idée imaginaire à laquelle on se rattache désespérément que notre désir serait strictement indépendant, c’est à côté de la question. L’idée que l’on pourrait désirer pour soi et exclusivement pour soi est totalement exclue, parce que désirer, c’est forcément désirer à partir du désir de l’autre et on ne peut pas se sortir de ça.

 

C’est bien ce que l’enfant découvre (à son détriment), il va s’y heurter, c’est que justement son propre désir à lui, dépend vraisemblablement du désir de l’autre, à savoir, ici, le père.

 

Dans ce second moment du complexe d’Œdipe, on peut dire que l’enfant rencontre la loi (du père) précisément parce qu’il découvre que la loi de son propre désir dépend de la loi du désir de l’autre. Il le découvre et c’est ça qui fait naître en lui ce questionnement autour de sa certitude d’être l’objet phallique qui comble la mère.

 

Ce qu’il rencontre, c’est que son désir pour la mère est peut-être aussi un désir qui se trouve convoité en rivalité avec un autre désir que le père déploie à l’endroit de la mère et réciproquement.

 

A chaque fois qu’il y aura désir, il y aura la loi, l’interdit de l’inceste. Et comme tel, l’interdit de l’inceste c’est quelque chose qui est rattaché au père. Au niveau du fonctionnement du désir chez tout un chacun, désirer quelque chose, c’est toujours désirer le désir de l’autre.

 

L’enfant découvre donc le fonctionnement de son désir à la faveur de cette rencontre avec le père et avec ce qu’il est supposé représenter pour lui. Et c’est justement sur cette découverte-là que s’amorce un troisième temps dans le complexe d’Œdipe. Troisième temps que Freud appelait le déclin du complexe d’Œdipe.

 

C’est le temps qui va dialectiser les deux précédents. Au sens de conserver et dépasser.

 

 

Le troisième temps conserve effectivement quelque chose des deux temps précédents mais en même temps, permet à l’enfant d’aller plus loin.

Ce temps, c’est le temps de la symbolisation de la loi par l’enfant. C’est la loi qui devient symbole (intégrable, donc) dans la chaîne symbolique du discours. Et parce que c’est justement une symbolisation, ça témoigne que l’enfant en a reçu la pleine signification.

 

Le fait que la loi ait une signification pour l’enfant, c’est ce qui en fait une valeur structurante, au niveau psychique.

Et cette valeur structurante, elle dépend du repérage précis de la place exacte de l’objet du désir de la mère pour l’enfant.

La fonction paternelle n’est pas opératoire, structurante dans l’Œdipe que dans la mesure où elle permet pour l’enfant de repérer la place exacte du désir de la mère.

 

Dès lors que l’enfant accède à cette signification de la loi, le père ne lui apparait plus comme un objet phallique rival de lui-même. Il s’est introduit une modification extrêmement importante, dans le rapport que l’enfant entretient avec le phallus.

L’enfant n’est plus dans le registre de l’être, il est introduit dans le registre de l’avoir.

 

Si l’enfant se retrouve dans la problématique de l’avoir, ça ne peut se faire que dans la mesure où ce père n’est plus un rival de lui-même auprès de la mère.

Ce qui s’est modifié, c’est que le père n’est plus du tout le phallus rival que l’enfant croyait qu’il était. Ce père a le phallus. Le père est investi par l’enfant, psychiquement comme étant supposé ayant le phallus. Le fait qu’on le suppose le posséder, ça a une valeur absolument déterminante pour la suite de l’évolution psychique.