La métonymie du désir
Le désir n’a pas d’autre issue que de se faire parole, c’est comme ça qu’un sujet désire. S’il ne peut pas désirer sur ce mode, ça signifie qu’il est encore objet du désir de l’autre, qu’il n’est pas sujet désirant.
La métaphore du nom du père contraint le désir à fonctionner sur un certain mode. C’est ce mode-là qu’on appelle métonymie, un mode métonymique. Parce que le fonctionnement du désir se produit exactement comme cette figure de rhétorique dans le langage, qu’on appelle la métonymie. Une des figures de la métonymie, c’est de désigner le tout par la partie. Exemple : une voile à l’horizon. Le fonctionnement du désir obéit à ce principe-là.
Par la métaphore paternelle, l’enfant, du point de vue de son désir, est mis à demeure, contraint, de prendre la partie (l’objet substitutif) pour le tout (l’objet perdu).
Le désir consiste à désigner le désir du tout, c’est-à-dire le désir fondamental, le désir de l’objet fondamental (la mère), par le désir de la partie, l’objet substitutif.
Une fois que ce processus est mis en place, on ne peut plus revenir en arrière. Lorsqu’on s’aveugle sans le savoir à prendre la partie pour le tout, à penser que l’objet substitutif, c’est l’objet de noter désir, on s’aperçoit rapidement qu’il n’en est rien, on est donc violemment tenté d’expérimenter ça auprès d’un autre objet. Et la même opération métonymique se réitère, et ainsi de suite.
Autrement dit, le désir va s’incarner dans une pluralité d’objets qui seront tous des objets métonymiques de l’objet fondamental du désir.
Deux des conséquences issues de la métaphore du nom du père :
Lacan avait coutume de dire que cette métaphore du nom du père, on devait la considérer comme un carrefour structural. A l’issue de la métaphore du nom du père, les différents sujets qui s’y seront trouvés vont s’orienter de façon irréductible dans un mode de fonctionnement psychique caractéristique, chacun de ces modes étant représentatif d’une structure psychique. Par structure psychique, on entend un ensemble de propriétés remarquables qui vont définir un certain type de fonctionnement du désir chez les sujets. Une structure est irréversible. On peut en distinguer quatre : la structure hystérique, la structure obsessionnelle, la structure perverse et la structure psychotique. La névrose est un mode de fonctionnement plus ou moins pathologique de ces structures. Personne n’échappe à la névrose puisque personne n’échappe au refoulement et que c’est le principal moteur de la névrose. Seulement il y a des sujets qui s’accommodent dans leur économie psychique, de leur structure et il y en a d’autres qui s’en accommodent beaucoup moins bien dans la mesure où cette économie produit plus de déplaisir que de plaisir. De ce point de vue-là, on pourra parler de névrose au sens pathologique du terme. On emprunte des traits de fonctionnement stéréotypés à d’autres structures (hystérisation de la cure).
Si l’on suit la problématique de la logique œdipienne, avec ce point d’aboutissement qu’est la métaphore du nom du père, il apparait que si quelque chose empêche le refoulement originaire, la métaphore du nom du père ne se constitue pas. Tout le problème est de savoir ce qu’est cette chose qui peut faire échec.
Freud a très vite compris, dès 1895, que le processus responsable de la névrose, c’était le refoulement. Et il s’est demande si on ne pouvait pas tenir ce même processus pour responsable des psychoses. Mais plus la théorie analytique se développait et moins cette hypothèse-là pouvait être retenue. Si bien qu’aux alentours des années 1918/1920, la question que Freud se posait par rapport aux névroses et aux psychoses était de savoir quel est le mécanisme qui induit la psychose comme le refoulement induit la névrose.
Il a retenu trois processus dont il a pensé qu’ils pourraient être le processus inducteur de la psychose :
- Le déni de la réalité (1924) : il lui est apparu que ça ne suffisait pas.
- Le déni de la castration : l’hypothèse qu’il a mise en place lorsqu’il a compris comment fonctionnaient les perversions. C’est autour de la question du fétichisme qu’il a essayé d’interroger cette question du déni de la castration pour voir si ce n’était pas ça qui était à l’œuvre chez le psychotique. Il s’est avéré que ce n’était pas un processus discriminant.
- Le clivage du moi : c’est cette propriété mise en évidence par les pervers qui font coexister au niveau de l’appareil psychique, des représentations strictement incompatibles entre elles. Mais qui coexistent sans jamais s’influencer. Freud s’est aperçu que les névrosés aussi présentaient ce clivage du moi.
Lacan a repris ce travail de Freud de très près. Et c’est dans l’œuvre de Freud qu’il a trouvé une explication qui lui paraissait répondre à ce mécanisme inducteur de la psychose (voir In Une question préliminaire à tout traitement possible des psychoses).
Verwerfung traduit par Lacan : Forclusion – cette forclusion serait le processus qui mettrait en échec le refoulement originaire, empêchant la mise en place de la métaphore du nom du père, et induirait chez l’enfant une structure psychotique.
Pour que cette forclusion soit introductrice de la psychose, il faut qu’elle porte exclusivement sur le signifiant nom du père (signifiant phallique, signifiant de la castration) alors, l’enfant n’a pas d’autre issue que de s’installer dans un processus psychotique. Cette forclusion du nom du père, c’est ce qui va perturber, voire même empêcher, l’accès au symbolique. L’utilisation du symbolique par les psychotiques délirants, est une utilisation délirante. Empêcher l’accès au symbolique, c’est ce qu’on trouve chez des enfants autistes.
Pour expliquer ça : qu’est-ce qui permet à l’enfant, au bout d’un parcours assez chaotique et difficile, de se soustraire à la position qu’il a toujours eu depuis sa naissance, c’est-à-dire celle d’objet du désir de la mère ?
Ce qui lui permet de s’y soustraire, ce qui lui permet d’abandonner cette position d’objet du désir de la mère, de l’autre, c’est une question qui lui vient, question par rapport à laquelle il attend une réponse. La question, c’est : qu’est-ce qui cause le désir de la mère ? Il y est amené à partir du moment où il commence à interroger ça, implicitement une seconde question vient avec, s’il n’est pas le seul et unique objet du désir de la mère, qu’est-ce qui cause alors le désir de la mère ?
Ce qui mettra un terme à ce questionnement, c’est lorsque lui viendra une réponse, mais une réponse qui a cette caractéristique particulière de ne pas en être une.
On pourrait s’attendre au fait que ce qui calme l’enfant c’est-à-dire ce qui finit par lui faire accepter la castration, c’est de trouver une réponse à sa question. Or, ce qui lui est proposé, venant de l’extérieur, à cette question, ce n’est pas une explication. Ce qu’il reçoit, c’est un certain nombre d’indices qui lui imposent petit à petit d’accepter que ce n’est pas lui l’objet du désir de la mère. Et c’est dans ce glissement qu’il va finir par attribuer aux absences de sa mère, une cause : le père, c’est quelque chose qui est supposé être attribué au père et que la mère n’a pas et du même coup que l’enfant n’a pas non plus : c’est l’objet phallique.
Ce qui l’amène à renoncer à sa position d’objet du désir de la mère, en acceptant la castration il s’ouvre la possibilité de désirer pour lui.
Si quelque chose empêche l’avènement du signifiant du nom du père, ça a à voir avec l’objet phallique.
Le propre de l’enfant psychotique, ça serait de rester dans cette position psychique où il interroge inlassablement : qu’est-ce qui cause le désir de la mère ? Position par rapport à laquelle, semble-t-il, aucune issue ne se présente à lui.